CHILDISH Billy

C’est ça qui me plaît et tant pis pour les emmerdeurs

Auteur : CHILDISH Billy

traduit de l’anglais par Jean Poncet
postface de Jacques Lovichi

… et puis on sort dans la rue on a un fils qui vous aime et qu’on aime aussi et on boit du thé et on a plusieurs paires de pantalongs une voiture cabossée et tout plein de chapeaux – on a une femme on dîne en ville on fait l’amour on dort comme un grand et aussi le matin on chie – parfois on se rase – on se laisse pousser la moustache et on palpe l’arrière de ses dans avec sa langue – j’ai les tibias comme des couteaux une pipe en terre dans la gorge et des poèmes pour vous tous c’est ça qui me plaît et tant pis pour les emmerdeurs.

la vie c’est la vie

la vie c’est pas la mort
ni le bonheur
ni la tristesse
ni la folie
la vie c’est pas le rire
voyager
ni pas bouger
la vie c’est pas s’empiffrer
ni se priver
ni la lumiaire
ni le noir
ni la guère
ni la torture
ni la paix
la vie c’est pas l’art
la vie c’est pas la poésie
ni la télé
ni le théâtre
et c’est pas une danse grassieuse
ni une marche clopinante
la vie c’est pas une joie vide
ni le chagrin
la vie c’est la vie

ISBN : 978-2-35082-242-6
Nombre de pages : 150p bilingues
Format : 14 x 21 cm

10,00

Description

L’Homme qui oublia d’être Billy Childish
par Jacques Lovichi

billy childish awoke one morning
and forgot to be billy childish
Billy Childish

Pour lors rédacteur en chef de la revue « po-éthique » qui publia les premières traductions de Billy Childish tentées par Jean Poncet, je découvris avec stupéfaction – et un certain enthousiasme – cet irritant individu que je ne connaissais ni en peinture ni en figure. Ne m’en étant pas porté plus mal jusque là, je dois reconnaître que cette rencontre provoqua un choc et fit imperceptiblement bouger quelque chose en moi ; ce dont je ne saurais jamais assez gré au traducteur-initiateur.B

Billy Childish, qui est celui-là ?
C’est lui qui répond :
en 76 j’ai quitté l’équole
et
je suis antré aux chantiers navals de chatham
comme apprenti
maçon

nous dit-il, avec cette liberté orthographique magnifiquement traduite par Poncet, lequel nous apprend que Childish est né en 1959 dans la ville susdite et, à seize ans, commença – aux chantiers où il produisit « plus de dessins qu’il ne gâch(a) de mortier » – une carrière graphique qui se poursuivit à l’École des Beaux-Arts de Saint Martins à Londres, dont il fut tôt exclu « pour cause de franc-parler et de méthodes de travail peu orthodoxes. » Ce qui n’étonnera guère ceux qui, depuis, l’ont lu.

Chômeur, guitariste (avec les Pop Rivets), il a – accompagné de divers groupes rassemblés successivement par lui – enregistré quelque cent-cinquante disques, « mélange – dit encore Poncet – de rock punk et de rhythm and blues authentique et sans paillettes. » N’ayant rien ouï de ce loustic et d’ailleurs n’y connaissant pas grand chose, je laisse au traducteur la responsabilité de ses affirmations en ce secteur des activités du poète.

Car, et j’y viens enfin, Childish créa en 1979 le collectif des Medway Poets (poésie et performances), puis, en 1999, le mouvement « stuckiste » dans le manifeste duquel il affine ses conceptions d’une peinture résolument figurative, importante pour se connaître soi-même et pour communiquer avec les autres, cinglant au passage l’art conceptuel et postmoderniste « superficiel, égocentrique et cynique », avec cette formule lapidaire et difficilement contestable : « Les artistes qui ne peignent pas ne sont pas des artistes. »

Romancier, avant tout poète, Childish compte à son acquis près d’une cinquantaine de recueils et « revendique le droit à l’erreur et à l’échec », se faisant « le champion de la liberté créatrice – c’est toujours Poncet qui parle –, liberté que possède tout enfant avant qu’elle ne soit volée aux adultes. »

Examinons d’un peu plus près le florilège que nous offre le traducteur. Nous y voyons au fil des pages se profiler une personnalité hors du commun. On peut raconter (et lui-même !) tout ce que l’on veut, Billy Childish est le principal sujet de ses poèmes. Il le proclame d’ailleurs tranquille-ment, et c’est juste-ment là, ô paradoxe !, qu’il nous ment. Car, nous parlant de lui, c’est de nous qu’il nous parle. De lui et de nous qu’il se moque :

j’ai toujours plein de sujets
pour éqrire :
mon ivrogne de père
les souris dans la cuisine
ma brute de grand frère
et
en plus je suis dislexique
je suis pas allé à l’équole
on m’a viré des beaux-arts
je bois
je baise
j’éqris dans le train
je dessine dans le train
mes poèmes
sourient sur
des visages inconnus
et
c’est comme ça que
je mène la vie parfête
du poète

Comme tout le monde, il a ses zobsessions, un bestiaire très personnel (rhinocéros laineux, baleine souriante, tigre à dents de sabre, singes-araignées, papillons « de nuit et de jour »…), ses générosités lucides (et parcimonieuses) :
il suffit de donner de l’amour
à nous-mêmes
et de temps en temps aux autres :
aux fantômes
à l’herbe
à la rivière
et
à ses sirènes et ses sentores qui chevochent
les ponts

Son humilité est assez particulière. Dans 12 m’as-tu-vu qui se sont cassé la gueule, il consacre une strophe à chacune des célébrités qui ont vraisemblablement marqué son itinéraire. Successivement : Gogol, Dostoïevski, Knut Hamsun, John Fante, Van Gogh, Tom Kromer, Edvard Munch, Bukowski, D.H. Lawrence, William Saroyan, Robert Walser, avec ce doux refrain pour chacun répété : « … et se casse la gueule ». Le douzième et dernier à se casser la gueule, c’est lui-même :
du calme les mecs
il s’est pas foulé
la cheville
il a juste
un petit
caillou dans la chaussure

L’humble artiste ne se mouche pas du pied ! Mais tout cela est dit avec tant d’humour reflèxe que l’on ne saurait lui en faire grief. Et comment ne serait-il pas conscient de son propre génie ? On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

D’ailleurs, ce qui marque chez lui, c’est le ton apparemment badin avec lequel il traite des sujets beaucoup plus profonds que sa gouaille ne les fait paraître. La vie quotidienne, certes, mais aussi la folie de la guerre, les famines, les désastres, le chômage, l’amour, l’enfance, les problèmes de politique intérieure comme extérieure, les mauvais poètes, la peinture et, d’une manière générale, tout simplement la vie.

Car, en fin de compte :
le monde est étonnant
chaque seconde palpite de vie
accueillant la vie et la mort
à égalité
miroitant
de tous les possibles

Vous voyez bien que c’est un poète, lui qui prétend ne l’être point !

Et tant pis si ça l’emmerde…

Merci à Jean Poncet de nous l’avoir fait découvrir.